Arthur Keller
Spécialiste des risques systémiques et des stratégies de résilience collective.
Crise écologique... ou crise humaine ?
Source : Repenser fondamentalement nos méthodes. (Vidéo Élucid 1h29)
« Vous avez parlé de crise écologique, et c'est vrai qu'on entend ça souvent, et je comprends évidemment pourquoi on dit ça, c'est presque un mantra quelque part, c'est quelque chose de très classique on entend tout le monde qui a un petit peu de conscience écologique dire l'humanité est confrontée à une crise écologique. C'est faux, c'est la nature qui est confrontée à une crise humaine, et ça c'est totalement différent, ce n'est pas juste pour faire un bon mot c'est le contraire. Donc les sociétés humaines essaient de résoudre des problèmes et globalement de se préserver vis-à-vis de ces problèmes. Ce n'est pas ça qu'il faut faire, les problèmes ne sont pas la faute à pas de chance, les problèmes ne sont pas des dysfonctionnements, non, ils sont issus du fonctionnement nominal de notre société. Les problèmes, ce qu'on appelle problème, ce sont des conséquences inévitables de la manière dont on a conçu nos sociétés, et derrière nous nos modes de vie. Donc il ne s'agit pas d'essayer de se protéger vis-à-vis de ses problèmes, il s'agit d'essayer de se changer pour préserver la nature de nous, de notre système de société telle qu'elle existe aujourd'hui. Pour dans un second temps se protéger parce que si on ne protège pas la nature on ne se protège pas soi-même. Voilà, donc c'est bien ça et il faut bien je dirais changer l'ordre des choses, il va falloir qu'on se remette en question, pas qu'on essaie de se préserver face à une crise écologique. »
Croître ou ne pas croître ? Faire ce que nous voulons,
ou faire ce que nous devons ?
Source : Repenser fondamentalement nos méthodes. (Vidéo Élucid 1h29)
« Il y a une chose qui est je pense assez intéressante dans l'homme, c'est que l'homme, il y a des choses qu'il doit faire et puis il y a ce qu'il veut ou ce qu'il ne veut pas. On n'est pas capable de choisir, on n'est pas capable de se raisonner, on n'est pas capable de s'autolimiter pour X et Y raisons. Il y a de l'inné dedans mais il y a surtout beaucoup de conditionnement, il y a beaucoup de culturel, il y a beaucoup de situationnel, etc., et de code culturel. Il y a aussi beaucoup de ça donc il y a des choses sur lesquelles on peut jouer quand même. Globalement les hommes n'aiment pas avoir à choisir si jamais il y a un problème entre ce qu'ils veulent et ce qu'il faut. Et donc jusqu'à ce qu'il n'y ait pas le choix ils essaient de se convaincre que les deux sont conciliables. C'est à dire que ce qu'il faut et que ce qu'ils veulent c'est compatible, donc des fois ça l'est, des fois ça ne l'est pas. Et quand ça ne l'est pas on invente un nouveau concept qui le rend compatible, et on se on se convainc que c'est compatible. »
La société de consommation permet-elle de faire du sens ?
Source : Repenser fondamentalement nos méthodes. (Vidéo Élucid 1h29)
Animateur
« Je voudrais qu'on parle un peu maintenant de de l'être humain parce que là on a parlé tout à l'heure des limites planétaires, finalement du système. On a parlé aussi des limites du système économique, mais il y a aussi une limite qui est finalement la limite humaine et qui correspond un peu à ce que vous venez de dire, c'est qu'on est dans une société où en tout cas au moins depuis 80 ans c'était sans doute un peu moins le cas précédemment, on est vraiment rentré dans une société de consommation. On nous a mis dans la tête pleine de besoins qui feraient peut-être rigoler nos ancêtres d'il y a un siècle, ce qui nous semble totalement indispensable aujourd'hui. On est baigné dans de la pub, on n'arrive pas à se à se à se limiter finalement, est-ce que ça aussi ce n'est pas un vrai problème qui fait que pour beaucoup de personnes c'est quand même difficile d'entrevoir des solutions qui ne soient pas traumatisantes finalement et donc d'agir face à cette limite ?
Arthur Keller
« Si, c'est compliqué, ça va être difficile voire impossible pour beaucoup de gens, et ça on peut leur expliquer tout ce qu'on veut mais ce n'est pas pour ça que les gens vont changer. On a fait le travail d'explication, mais ce n'est pas ça qui va faire bouger les choses et donc les gens continueront tant qu'ils peuvent, et que ça leur est permis et autorisé et facile, confortable. Et en plus même ils ont des incitations pour le faire, ils continueront à surconsommer, ils continueront à s'installer dans leur sofa à bouffer du Netflix, ils continueront sans véritablement de remise en question profonde. On est dans cette course en avant perpétuelle, on est dans ces incitations des fois contradictoires mais globalement c'est toujours plus. Donc effectivement, de toute façon on s'est fait berner sur l'idée que le but de la vie ce serait le bonheur, ça pourquoi pas, mais que le bonheur proviendrait d'une addition de plaisir c'est faux. Je n'ai pas dit qu'il ne fallait pas de plaisir, mais juste ça, c'est faux. Donc du coup on va collectionner les petits plaisirs et on devient des addictes des petits shoots de plaisir, et ça, ça ne crée pas du sens. On nous développe des moyens incroyables et des options partout, et des possibilités qu'on n'a jamais eues, c'est incroyable et donc on peut faire plein de choses, et on peut apprendre plein de choses, et on peut visionner plein de choses, on peut découvrir des autres lieux, on peut voyager, on peut faire plein de choses, c'est génial. Et plus on fait, moins on accomplit. On se disperse dans des petites choses, on ne fait plus de grandes choses et donc on ne se réalise plus, et on perd l'idée de ce que c'est que vivre. On ne vit pas, on vit le moment, on est dans du carpe diem. Je n'ai pas dit qu'il n'en fallait pas mais penser que juste ça ça allait nous apporter le bonheur, c'est l'échec assuré. »
On a besoin de réfléchir au renoncement… « Un homme ça s'empêche » Camus.
Source : Repenser fondamentalement nos méthodes. (Vidéo Élucid 1h29)
« Il
y a un certain nombre de sujets qu'on devrait se réapproprier, la liberté, le
renoncement, le rationnement. Ce
sont des thèmes qui sont intéressants. Le rationnement, dictature n'est-ce pas
? Et bien oui si c'est un rationnement gratuit, si c'est un autocrate qui
décide et rationne sans raison. Ça c'est une dictature, mais si nous avons une
descente énergétique et matériel qui s'impose à nous et qu'on ne peut plus
avoir ce qu'on veut pour tout le monde, on a deux choix : un, on contingente.
Alors on peut peut-être dire contingentement plutôt que rationnement, on
limite, on met des quotas, on met ce qu'on veut. Peut-être que le mot
rationnement fait peur, mais globalement ça revient au même, on dit voilà,
maximum de tant de choses pour tout le monde que tu sois riche ou pauvre. Et ça
ce serait plus dictatorial que de dire on ne fait rien ? Mais si on ne fait
rien, ça va s'organiser selon les lignes de force de l'argent, donc les riches
pourront avoir ce qu'ils veulent encore longtemps jusqu'à un certain temps,
pendant que d'autres n'auront plus rien. Deuxièmement le
renoncement, on a besoin de réfléchir au renoncement. Pour moi la liberté elle
s'exprime essentiellement dans les choix que l'on fait, et choisir c'est dire
non, c'est savoir dire non. C'est savoir s'autolimiter. Voilà, pour Camus, qui
disait « un homme ça s'empêche », effectivement il faut qu'on soit capable de
s'empêcher, et aujourd'hui on n'est pas capable parce qu'on est des junkys. On
est des junkys et quand on veut nous empêcher d'avoir notre shoot de ce qu'on
aime, ce serait atteindre à nos libertés. Mais un junky il n'est pas libre.
C'est le contraire de la liberté que l'addiction. »