Edgar Morin
Sociologue et philosophe, théoricien de la pensée complexe.
Relier les savoirs entre eux.
Source : Dossier repenser l'école, Edgar Morin. (Vidéo 11mn35)
« Je crois qu'il y a un problème en profondeur qui jusqu'à présent ne semble pas avoir été abordé. Nous vivons dans un monde où on apprend très bien à l'école à compartimenter, à séparer les choses, et non pas à relier. Alors on provoque un type d'intelligence, très riches dans des domaines clos, mais incapable de situer une connaissance dans le contexte et dans le global. À mon avis c'est ce dont on souffre actuellement, c'est-à-dire, la faiblesse de toutes les pensées globales et contextuelles. Et ce problème de réforme de pensée ne peut se faire qu'à partir de l'école, et je dirais même à partir de l'école primaire. Il faut apprendre à relier, et aussi à distinguer. Je dirais par exemple, il faut partir des grandes interrogations que tout enfant, et je dirais même que tout adulte devrait se poser, sur « qu'est-ce que l'homme ? », « qu'est-ce que la vie ? » ; « qu'est-ce que la société ? », « qu'est-ce que la vérité ? », « qu'est-ce que le monde ? ». Et à partir de ces questions, prenez par exemple, qu'est-ce que l'homme ? On se rend compte que l'être humain est de nature biologique et de nature psychologique et social. Et à partir de ces interrogations profondes, aller vers les différentes sciences mais en montrant le lien qu'il y a en tout cela. D'ailleurs j'ajoute qu'une pensée qui relie les choses, qui est capable de voir le contexte et le global donne le sens de la responsabilité. Quand vous prenez par exemple l'affaire du sang contaminé, ou d'une grande administration, qu'est ce qui se passe ? Chacun se croit responsable d'un secteur parcellaire et ne s'occupe pas du reste. Ce qui fait que quand on cherche le responsable, personne n'a pris en charge la responsabilité globale. Les grandes révolutions pédagogiques sont rares, et elles arrivent quand elles sont nécessaires. »
L'éthique de la compréhension.
Source : Les sept savoirs à l'éducation du futur. Edgar Morin
«L'éthique de la compréhension est un art de vivre qui nous demande d'abord de comprendre de façon désintéressée. Elle demande un grand effort, car elle ne peut attendre aucune réciprocité : le tolérant menacé de mort par un fanatique comprend pourquoi le fanatique veut le tuer, tout en sachant que celui-ci ne le comprendra jamais. Comprendre le fanatique qui est incapable de nous comprendre, c'est comprendre les racines, les formes et les manifestations du fanatisme humain. C'est comprendre pourquoi et comment on hait et on méprise. L'éthique de la compréhension nous demande de comprendre l'incompréhension.
L'éthique de la compréhension demande d'argumenter, de réfuter au lieu d'excommunier et d'anathématiser. Enfermer dans la notion de traitre ce qui relève d'une intelligibilité plus ample empêche de reconnaître l'erreur, le fourvoiement, les idéologies, les dérives.
La compréhension n'excuse ni n'accuse : elle nous demande d'éviter la condamnation péremptoire, irrémédiable, comme si l'on avait jamais soi-même connu la défaillance ni commis des erreurs. Si nous savons comprendre avant de condamner, nous serons sur la voie de l'humanisation et des relations humaines.»
Ce qui favorise la compréhension : le bien penser et l'introspection.
Source : Les sept savoirs à l'éducation du futur. Edgar Morin
Ce qui favorise la compréhension c'est :
Le «bien penser» :
C'est le mode de penser qui permet d'appréhender ensemble le texte et le contexte, l'être et son environnement, le local et le global, le multidimensionnel, bref le complexe. Il nous permet de comprendre les conditions objectives et subjectives du comportement humain (self-deception, possession par une foi, délires et hystéries).
L'introspection :
La pratique mentale de l'auto-examen permanent de soi est nécessaire, car la compréhension de nos propres faiblesses ou manques est la voie pour la compréhension de ceux d'autrui. Si nous découvrons que nous sommes tous des êtres faillibles, fragiles, insuffisants, carencés, alors nous pouvons découvrir que nous avons tous un besoin mutuel de compréhension.
L'auto-examen critique nous permet de nous décentrer relativement par rapport à nous-mêmes, donc de reconnaître et juger notre égocentrisme. Il nous permet de ne pas nous poser en juges de toutes choses («C'est un con», «c'est un salaud», sont les deux expressions qui expriment à la fois la totale incompréhension et la prétention à la souveraineté intellectuelle et morale.).