Le Progrès

À l'heure où 60 % de la biodiversité a disparu en un siècle, nous pensons que la notion de Progrès se doit d'être étudiée et redéfinie.

Étymologie et définitions de "progrès". (Dictionnaire de l'Académie française)

XVIe siècle. Emprunté du latin progressus, « marche en avant, avancée », dérivé de progredi, « aller en avant, s'avancer », lui-même composé à partir de pro, « en avant, devant », et gradi, « marcher, s'avancer ».

1. Mouvement, déplacement vers l'avant ; fait de s'étendre de proche en proche, propagation. Le progrès journalier du soleil, son déplacement apparent d'est en ouest, depuis son lever jusqu'à son coucher. Les progrès d'un incendie. Spécialement. Marque de domaine :militaire. Au pluriel. Suite de conquêtes, d'avantages remportés à la guerre. Arrêter les progrès de l'ennemi.▪ Par analogie. Le progrès des années.

2. Le fait de croître, de prendre de l'ampleur. Faire un progrès notable, des progrès sensibles. Les progrès de la criminalité. Enrayer les progrès d'une maladie. L'accélération du progrès scientifique et technique engendre des craintes dans la société. Le nombre de chômeurs est en progrès ce mois-ci.

▪ Souvent dans un sens favorable. Évolution vers un état meilleur. Le progrès médical. Grâce à Champollion, l'égyptologie fit de grands progrès. Cet élève est en progrès, en net progrès, son travail s'améliore.

▪ Absolument. Souvent avec une majuscule. Mouvement de la civilisation lié aux avancées de la pensée, des sciences et des techniques. L'idée de progrès, chère aux Lumières, a nourri la réflexion des utopistes et des philosophes. Le mythe du Progrès. Nier, remettre en cause le Progrès. Spécialement. Titre pris par différents journaux voulant servir des idéaux de réforme et de justice sociale. Le Progrès de Lyon.

▪ Expr. fam. On n'arrête pas le progrès, se dit pour reconnaître le caractère inéluctable d'une évolution technique, scientifique, etc. et, ironiquement, pour saluer une innovation qu'on juge futile ou pernicieuse.


Le Progrès, y travailler pour le faire advenir. (Étienne Klein)

Source : Le futur c'est pour quand ? Conférence avec Etienne Klein et Enki Bilal. (Vidéo : 1h36mn)

« Certains d'entre nous (de ma génération), étaient pressés de vieillir, ce qui à mon avis est un désir qui n'existe plus beaucoup aujourd'hui. Personne n'est pressé de vieillir, il n'y a aucune impatience du futur… Et donc il s'est passé quelque chose. Par exemple, que le mot Progrès ait été remplacé par le mot innovation. On peut le mesurer par des logiciels qui comptent les mots dans les discours public.

Le mot Progrès, qui a été écris pendant 3 siècles avec une majuscule a perdu sa majuscule après la deuxième guerre mondiale. Il a commencé à décliner à la fin des années 1980, date à laquelle réapparait dans la langue française un très vieux mot, qui avait été abandonné, et qui a ressuscité à ce moment-là, le mot innovation.

On pourrait dire que l'innovation c'est la même chose que le progrès, ce sont des mots synonymes, mais quand on regarde les choses plus en profondeur, on s'aperçoit que notre façon de parler de l'innovation ne rend pas justice à l'idée de Progrès. En fait l'idée de Progrès, l'idée de base, c'est que le temps qui passe est notre allié. Il est complice de notre liberté, de notre volonté, et donc plus le temps aura passé dans le futur, mieux ce sera… C'est ça le Progrès. Alors que notre discours sur l'innovation s'appuie sur un temps qui est corrupteur. L'idée c'est que le temps qui passe dégrade les situations, aggrave les défis, et l'innovation est ce qu'il faut faire pour maintenir le monde… Et donc le discours sur le futur est complètement différent. On pourrait même dire qu'aujourd'hui le futur est en jachère politique, en lévitation intellectuelle, puisque le futur… On n'a plus de philosophie de l'histoire en fait…

Si vous lisez un petit livre, que je trouve remarquable, qui a été écris par Emmanuel Kant « Qu'est-ce que les Lumières ? ». ET bien Kant dit dans ce livre, que les Lumières, c'est-à-dire la philosophie du Progrès, c'est une idée qui est doublement consolante… et il ajoute cette précision : c'est doublement consolant et c'est sacrificiel… Alors qu'est-ce qu'il veut dire par là ? Il veut dire que l'idée de progrès nous console des malheurs du présent, puisque si on y croit, alors on pense que nos enfants, nos descendants, vivront mieux que nousEt donc ça rend les malheurs du présent plus facilement acceptables. Mais il ajoute, c'est également consolant par le fait que l'idée de Progrès donne un sens au sacrifice qu'il impose…

L'idée de progrès n'est pas automatique, ce n'est pas parce qu'on croit au progrès qu'il se réalise. Il faut travailler à le faire advenir. Donc en fait il faut configurer le futur à l'avance d'une façon crédible et attractive, et ensuite travailler à réaliser cette image qu'on a en tête… Il faut donc se sacrifier, et du coup, les sacrifices qu'on accepte d'accomplir ont un sens puisqu'ils nous mènent vers le mieux.

Les scientifiques qui s'occupent de climat, de biodiversité, de pollution, quand ils parlent du futur c'est crédible, ce n'est pas attractif. Et donc l'idée de progrès a perdu sa capacité historique à se verbaliser, et c'est ça qu'il faut interroger et peut-être que le mieux, plutôt que d'abandonner l'idée de progrès comme on l'a fait, c'est de la retravailler. C'est-à-dire de la soumettre à elle-même. Si vous croyez au progrès, vous devez faire progresser l'idée de progrès.

Et donc l'enjeu, pour les jeunes générations notamment, c'est de mélanger l'univers bloc et le présentisme. Il faut retenir de l'univers bloc qu'il y aura un futur, et donc pas trop céder aux thèses collapsologiques… il y aura un futur, et prendre des thèses présentistes l'idée que, ce futur n'est pas complètement déterminé, qu'il y a encore une place pour le projet, pour le désir, pour la volonté, pour l'ambition, etc… Et évidemment c'est cela qu'il faut articuler, et qui manque à mon avis aux jeunes générations d'aujourd'hui, que nous on avait quand on était adolescent… Pour les jeunes c'est à mon avis très très dur psychiquement de voir que le futur n'est pas configuré, ou alors quand il l'est c'est uniquement sur le mode de la catastrophe. »


Nécessité d'un Progrès dans la sagesse. (Roland Gori)

Source : 

« J'ai un peu l'habitude de dire d'ailleurs que la crise écologique n'existe pas, elle n'est que la part émergée d'une crise anthropologique beaucoup plus profonde qui est l'exploitation du vivant comme stock à exploiter au maximum pour produire du profit. Donc effectivement, comment voulez-vous que l'humain traite la nature, l'environnement, mieux qu'il ne se traite lui-même ou qu'il traite ses semblables ? Donc je crois que c'est cela que nous avons, et nous avons si vous voulez une crise majeure produite en partie, mais pas seulement, par une mondialisation qui aboutit à ce que le philosophe Achille Mbembe appelle le risque du « devenir nègre du monde » . C'est-à-dire que la situation que pouvait avoir et c'est un peu le thème vous le savez de mon dernier essaie, la situation que pouvait avoir les esclaves qui étaient arrachés à leurs liens, bien sûr la terre, la région, mais la tribu, la famille, les amis, les dieux, la langue, étaient ensuite transformés en instrument, c'est-à-dire au service justement d'une pure utilité dans la plantation. Comparaison n'est pas raison mais je pense que nous vivons quelque chose de cet ordre-là, à savoir que nous avons essentiellement considéré aujourd'hui l'humain comme un instrument dont il faut se servir ou dont il faut lui apprendre à se servir, c'est à dire à lui-même s'exploiter et s'utiliser comme instrument pour pouvoir survivre. On a opéré une mondialisation sur un plan purement marchand, économique, financier, mais sans se doter je dirais d'une civilisation de protection sanitaire, de protection sociale, d'échange culturel. Échange culturel qui ne soit pas transformé simplement en spectacle ou en marchandise. Donc je crois que c'est cette crise là que nous vivons. Nous avons si vous voulez un décrochage entre l'évolution spectaculaire des savoirs scientifiques, des techniques, des échanges commerçants mais sans pour autant que ces progrès techniques, scientifiques et industrielles soient accompagnés d'un progrès dans la sagesse, d'un progrès dans la dignité de l'homme, d'un progrès dans tout ce qui fait finalement l'humanité de l'homme. »


Le Progrès devrait-il nous rendre plus humain ? (Roland Gori)

Source :

« Le Progrès tel qu'il a été posé, on va dire pour aller vite, fin du 18e et tout au long du 19e et recyclé encore au 20e, le Progrès est un mirage. Vous savez il y a une phrase que j'aime bien de Georges Orwell qui dit « Quand on me parle de Progrès, je demande toujours s'il nous rend plus humain ou moins humain »» .


Quelle devrait être l'orientation du Progrès au 21e siècle ? (Olivier Hamant)

Source : Conférence "La 3e voie du vivant" de Olivier Hamant. (Vidéo, 2h26mn)

« Je vais basculer dans le monde social, avec cette idée d'adaptabilité construite contre la performance. En quoi ça peut nous éclairer ? Et bien ça peut nous montrer un chemin à mon avis qui est assez fructueux pour habiter ce 21ème siècle fluctuant. Donc Je vais vous résumer tout ce que je vous ai raconté aujourd'hui en une courbe. C'est vraiment une synthèse de la synthèse. Je vous présente une courbe qui résume un petit peu le progrès de l'humanité d'une façon assez simpliste évidemment. Le progrès, ça a été surtout des incréments de performance, on a augmenté l'efficacité, on a augmenté l'efficience des organisations, des technologies… Donc c'est plutôt ça, et plus on augmente la performance et plus on se rend compte que la viabilité de l'humanité sur terre est menacée, parce qu'on est en train d'infecter des écosystèmes. Si vous voulez je le dis autrement, la nature menacée devient menaçante. C'est ça l'inversion, c'est ça la fin du néolithique. Notre progrès augmente la performance et notre viabilité est menacée. Alors on peut se dire comment on va régler ce problème là ? Si on pense développement durable avec efficience énergétique, efficacité, etc., on reste dans la performance. Les effets rebonds vont être là et du coup ça ne va absolument rien changer à la trajectoire. Ça va peut-être faire un petit peu de délai mais ça ne va pas changer grand-chose. Donc le développement durable ça ne marche pas vraiment tel que c'est conçu.

Si on fait de la décroissance, on va dans l'autre sens, on réduit la performance. Alors là oui ça peut marcher, notre viabilité augmente mais comme je vous l'ai dit tout à l'heure, ça ne mobilise pas. Si on est réaliste il y n'a pas grand monde qui veut décroître volontairement de façon proactive. Il y en a quelques-uns mais c'est quand même minoritaire donc du coup la question, c'est quoi le progrès au XXIe siècle, à partir du 21e siècle ? Et bien c'est tout simple il faut changer d'axe. Le progrès au 21e siècle ce sera des incréments de robustesse. Et je le dis au futur, je ne le dis même pas au conditionnel. Un scientifique ça ne fait pas de prédiction comme ça au futur, normalement on n'a pas le droit. Là, je me permets d'utiliser le futur parce que si on lit tous les rapports scientifiques du GIEC de l'IPBES de l'IUCN… Tous ces rapports sur la biodiversité, sur le climat, tous disent qu'on va rentrer dans un monde fluctuant. C'est vraiment les fluctuations qui vont dominer. Dans un monde fluctuant il ne faut pas faire de performance. La réponse opérationnelle à un monde fluctuant c'est la robustesse, ce n'est pas la performance. Donc dans un monde fluctuant on va faire des incréments de robustesse et ça c'est une révolution totale. Vivre avec les fluctuations, c'est inventer un progrès de l'humanité qui est construit sur la robustesse et pas sur la performance. Et c'est même plus que ça, c'est construire sa robustesse contre la performance. Construire sur ses points faibles, on pourrait dire comme ça. »