Philippe Bihouix
Ingénieur, auteur, explorateur des enjeux liés à la consommation de ressources et la transition énergétique.
Le débat entre techno-optimistes et techno-pessimistes... un vieux débat.
Source : Les conférences d'iXcampus - La tech au secours de la planète. (Vidéo : 1h18mn)
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« Je voulais un peu repartir de la base, de l'histoire, car souvent pour se projeter dans l'avenir c'est pas mal de jeter quand même un coup d'œil dans le rétroviseur. De se dire finalement d'où on vient, et qu'est-ce qui se passe ? Et en fait ce débat entre des gens qui sont un peu techno-optimistes, ou techno-solutionnistes, et puis des gens qui sont au contraire très pessimistes. En fait ce débat a lieu depuis très longtemps. On oublie souvent d'une génération à l'autre ce qui se passe mais ça démarre dès la fin des années 40.
À la sortie de la seconde guerre mondiale, il y a des gens issus de la biologie de la conservation, William Vogt, un ornithologue qui a travaillé en Amérique du Sud sur des cormorans, un autodidacte qui est assez célèbre, et puis vous avez Fairefield Osborne qui est le le fils d'un célèbre paléontologue américain qui a découvert des dinosaures et qui est président de la New York Zoological Society. Donc tous les deux sont vraiment des tronches de la biologie de la conservation et ils vont sortir chacun un livre en 1948, l'un s'appelle "Road to Survival" , je ne vous le traduis pas vous voyez ce que ça veut dire, en français c'est traduit par "la faim du monde", la fin f-a-i-m... Ça commence déjà à être un peu stressant, et puis "planète au pillage" c'est le bouquin d'Osborne. Les deux livres vont être des best seller mondiaux vendus à plusieurs millions d'exemplaires en 1948. Ils ont tous les deux la même thèse, que le développement démographique qui est très fort évidemment à la fin des années 40, alliée à la croissance de la consommation par personne (Ce qu'on appellera bientôt le développement, le fait qu'il y a du développement économique, du développement technique et donc on consomme de plus en plus par personne), et bien la conjonction des deux va faire exploser littéralement notre besoin en ressources et va nous conduire à de grandes catastrophes. Donc voilà c'est un peu comme ça que ça et les deux livres vont avoir un grand retentissement.
Et puis très vite en face de cette thèse il y a des gens qui vont tout de suite dire mais non, ces écolos font une erreur de raisonnement. On va les appeler les cornucopiens. Cornucopien, ça vient de nouopia c'est du latin, c'est la corne d'abondance. En fait l'histoire c'est le dieu chronos qui avait l'habitude de manger ses enfants à la naissance. Pas très sympa, mais il faut dire qu'on lui avait prédit qu'un de ses fils allait le détrôner, donc à chaque fois que RA sa femme, déesse, accouchait, il mangeait son enfant. Donc RA va cacher le petit Zeus et elle va le faire élever en Crête par une nymphe et le petit Zeus va être nourri par le lait d'une chèvre qui s'appelle l'Amalthée et puis s'en faire exprès un jour il va casser la corne de la chèvre et pour se faire pardonner va décider que cette corne va toujours abonder en fruits et en fleurs. C'est la corne d'abondance, cornucopia, et donc le cornucopianisme c'est le principe de dire que grâce au progrès technologique on va aller vers un monde d'abondance et pas vers un monde de pénurie,
Dans les années 50 ces économistes, ces futurologues, ces sociologues, vont finalement écrire des rapports, écrire une vision du futur qui est très différente de la vision des écolos. C'est le fait de dire, vous allez voir ça va se passer comme d'habitude, il va y avoir du progrès et grâce au progrès, on va repousser la pénurie comme on l'a toujours repoussée. En l'an 2000 ce ne sont pas des famines, des pénuries qu'on va avoir, au contraire, ça va être des fusées, la conquête de l'espace, l'intelligence artificielle, repousser le l'âge de la mort et tout ça est déjà écrit dès les années 50.
9 : 16 D'autres équipes vont modéliser pour la première fois le système terre avec un certain nombre d'équations, la question des ressources, la question des déchets la question de la production industrielle, la production alimentaire…Ils vont montrer finalement une sorte de totologie on pourrait dire, un truc automatique qui est qu'en gros, la croissance infinie dans un monde fini n'est pas possible. A un moment à force de faire une croissance vous allez heurter des limites. »
La solution du recyclage
Source : Les conférences d'iXcampus - La tech au secours de la planète. (Vidéo 1h18mn)
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Le problème c'est que le recyclage, cette idée de recyclage à l'infini, finalement de dire : je fais un câble de cuivre et je refais un câble de cuivre, elle est très théorique. La manière aujourd'hui dont on utilise, dont on conçoit nos objets, dont on consomme toutes ces ressources, et bien fait qu'en fait le recyclage marche très mal.
Il n'y a pas de phénomène parfait, il n'y a rien en physique qui a un rendement de 100 %. On en perd toujours un peu même si vous fondez un lingot d'aluminium qui vient de sortir d'une usine de production d'aluminium. Pour fondre une pièce , vous avez ce qu'on appelle une perte au feu de 1 ou 2 %.
Alors ce n'est pas perdu, Lavoisier disait « rien ne se perd rien de se crée, tout se transforme. » évidemment ça va c'est juste que ça part dans des effluents gazeux, parce que le fait d'avoir chauffé, y a une partie qui se sublime et qui va partir dans l'atmosphère. Ça permettrait quand même d'atteindre aller 99 % de taux de recyclage quoi au pire, ça serait quand même très bien sauf aujourd'hui on en est très loin. Pour presque la moitié des 60 métaux qu'on utilise, le taux de recyclage mondial aujourd'hui est de moins de 1 %.
Pourquoi est-ce que ça se passe comme ça ? Il y a deux raisons principales à cela.
La première c'est que, le câble de cuivre est un très mauvais exemple, parce que la plupart du temps on n'utilise pas tous nos métaux sous une forme pure. On les utilise sous une forme d'alliage.
La deuxième raison c'est qu'on a aussi des usages dispersifs, dissipatifs, on n'utilise pas tout sous une forme qui est récupérable. Par exemple le titane, c'est un métal assez incroyable, très résistant. C'est un métal de l'aéronautique, c'est plusieurs milliers de degrés. C'est un métal qui est cher à produire et tout est super bien recyclé. Mais 95 % du titane est utilisé comme colorant blanc universel, le dioxyde de titane qu'on trouve dans les crèmes solaires dans les dentifrices, dans tous les objets quotidiens, dans les vêtements, dans les tissus, dans les sols, dans les peinture donc par définition déjà 95 % de la ressource n'est pas récupérable, donc on ne va pas la recycler. »
L'effet rebond
Source : Les conférences d'iXcampus - La tech au secours de la planète. (Vidéo 1h18mn)
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« Il y aura effectivement des machines à vapeur qui vont consommer de moins en moins mais il y en aura de plus en plus et donc globalement la facture environnementale, la facture en charbon à l'époque, va augmenter et non diminuer.
C'est donc cette idée qu'en fait on n'arrive pas à capturer les gains technologiques, gains d'efficacité technologique. Donc à chaque fois qu'on vous dit, oui mais on va faire un truc plus efficace, la question c'est oui mais est-ce que ça ne va pas générer de l'effet rebond ?
Alors il y a plein d'exemples d'effet rebond, c'est toute la trajectoire technologique de l'humanité depuis deux siècles. L'endroit où il y a le plus d'effets rebond, c'est le domaine de l'informatique, le domaine des télécom. C'est hallucinant les progrès qu'on fait aujourd'hui. Un data center n'a rien à voir avec un data center d'il y a 20 ans. Leur architecture est optimisée, leur température de fonctionnement est optimisée, on les refroidit à l'eau. Il y a plein de systèmes pour faire baisser la facture énergétique parce que ça représente des coûts importants.
Les entreprises aiment bien Le progrès technologique, il n'y a pas de souci. Si vous économisez de l'énergie, des ressources pour produire la même chose ou des services, c'est intéressant.
C'est de la compétitivité, donc tout le monde est d'accord pour faire de l'efficacité. Dans le domaine des télécom, la 5G est vachement plus efficace que la 4G par octet, par unité d'information transporté. C'est peut-être 100 fois plus efficace, mais le problème c'est qu'évidemment la quantité de données qu'on produit, qu'on échange qu'on stock, qu'on consomme, qu'on calcule, elle suit elle aussi une trajectoire exponentielle. Elle annihile donc les effets du progrès technique. »
La démarche low tech
Source : Les conférences d'iXcampus - La tech au secours de la planète. (Vidéo 1h18)
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« Attention, la promesse high-tech va pas forcément nous sauver, alors qu'est-ce que c'est du coup les low tech ? Ce n'est pas l'âge de pierre, ce n'est pas la bougie tout ça, le retour à l'âge des cavernes.
En fait l'idée c'est plutôt de dire, est-ce que maintenant on n'arriverait pas finalement à orienter ce progrès technologique indéniable, pour le capturer, pour l'orienter vers des choses qui vont éviter l'effet rebond ? Qui vont prendre en compte la question des ressources, optimiser la manière dont les objets sont conçus pour pouvoir réduire ce gâchis effroyable.
Moi, je n'aime pas définir ça en disant il y a des objets Low Tech et des objets qui ne sont pas Low Tech, moi j'aime bien parler de démarche. C'est une démarche qui consiste à se poser trois questions : pourquoi, quoi, comment. Pourquoi est-ce que je produis ? Qu'est-ce que je produis ? Comment je le produis ?
La première question, c'est l'idée en fait de dire, finalement à chaque fois que je consomme une ressource, un produit, un service et ben je vais extraire des ressources qui vont être perdues pour toujours pour les générations futures, puisque le taux de recyclage est inférieur à 100 %. C'est un peu cette idée que finalement chaque truc que je fais, que je consomme, j'ai un impact environnemental. Il faut le reconnaître, l'accepter, d'où l'idée de dire que le plus simple c'est de consommer moins, de produire moins.
D'où cette idée de la frugalité, de la sobriété, de la réduction à la source. Cette idée de la sobriété est extrêmement intéressante, mais il y a plusieurs sortes de sobriété, c'est comme le développement durable. Alors il y a une sobriété qui est un peu la sobriété austérité, j'enfile un pull, je chauffe moins. C'est terriblement efficace mais c'est potentiellement désagréable. Mais il y a plein de sortes de sobriétés autres qui pourraient être des sobriétés systémiques, plus organisées, plus installées par la société, la puissance publique et nous tous.
Dans le domaine de la construction évidemment, on peut faire l'écoconstruction. On peut faire plus de biomatériaux, construire en bois, en terre ou en pierre plutôt qu'en béton.
Le deuxième levier, c'est comment est-ce qu'on conçoit cette machine à laver pour réduire la satanée perte de ressources dont je parlais tout à l'heure. Il faut concevoir beaucoup plus réparable, beaucoup plus durable, beaucoup plus robuste. Éviter les affichages digitaux. C'est surtout la question du techno-discernement ou du discernement technologique finalement. C'est de se dire que toute technologie a un impact donc finalement la technologie je l'utilise pour quoi ? Où est-ce que je mets de la technologie qui va être coûteuse pour faire quoi ?
Ce n'est pas que le consommateur qui doit travailler sur cette sobriété systémique, c'est aussi la puissance publique à travers un certain nombre de pouvoirs. En fait c'est une autre innovation qui soit aussi sociale, culturelle et organisationnelle. Il y a plein de choses à faire, il y a un très bel enthousiasme. Il faut qu'on soit dans une logique beaucoup plus systémique et ambitieuse. »