Philosophie pour enfants
La philosophie pour enfants ne consiste pas animer des cours de philosophie, d'étudier les philosophes, mais de permettre aux enfants de faire l'apprentissage du mieux penser. Cette approche est présente dans plus de 80 pays…
Étymologie et définitions de
"Philosophie". (Dictionnaire de l'Académie française)
XIIe siècle. Emprunté, par l'intermédiaire du latin, du grec philosophia, de même sens, lui-même composé à partir de phileîn, « aimer », et sophia, « habileté, sagesse ».
1. Anciennement. Ensemble des sciences et des disciplines ayant pour objet la connaissance rationnelle de la nature. Descartes compare la philosophie à un arbre dont les racines sont la métaphysique, le tronc la physique et les branches toutes les autres sciences. Philosophie naturelle, ensemble des disciplines ayant pour objet l'étude du monde matériel. Dans la tradition aristotélicienne : Philosophie première, qui s'intéresse aux causes premières, aux premiers principes, par opposition à philosophie seconde, qui traite de la nature. Vieilli. Philosophie hermétique ou chimique, nom parfois donné à l'alchimie. Titre célèbre : Les Principes de la philosophie, de René Descartes (1644).
▪ Spécialement. Système, théorie visant à donner une explication générale des phénomènes naturels. Philosophie corpusculaire, théorie de Démocrite, reprise par Épicure et Lucrèce, selon laquelle la nature est constituée de corpuscules en mouvement. Philosophie atomiste, mécanique.
▪ Par extension. Ensemble des méthodes, des principes fondamentaux permettant la pratique raisonnée d'une science ; par métonymie, ouvrage exposant ces principes. Philosophie de la chimie, de la physique. Philosophie minéralogique, astronomique. La « Philosophie botanique » de Charles de Linné (1751). La « Philosophie zoologique » de Jean-Baptiste Lamarck (1809). La « Philosophie anatomique » d'Étienne Geoffroy Saint-Hilaire (1818-1822).
2. Recherche de la vérité, des principes et des fins de toutes choses ; activité critique de l'esprit fondée sur l'exercice de la raison naturelle, qui s'attache à dégager les fondements de la connaissance, les conditions de l'action et le sens de l'existence humaine. La métaphysique, la morale, la logique sont des parties de la philosophie. Philosophie générale. Philosophie morale, politique. L'histoire de la philosophie. Un traité de philosophie.
▪ Philosophie positive, qui se donne pour tâche de dégager les lois régissant les phénomènes naturels, en écartant toute recherche des causes premières ou des causes finales des choses. Le « Cours de philosophie positive » d'Auguste Comte. Philosophie de la nature, chez les romantiques allemands tels que Goethe, Hegel, Schelling, étude des différents degrés d'organisation par lesquels la nature, conçue comme un organisme vivant, s'élève de la matière à l'esprit.
▪ À Athènes, le Lycée et l'Académie étaient de célèbres écoles de philosophie. Une chaire de philosophie. Un professeur, un cours de philosophie. Une dissertation de philosophie. Agrégation de philosophie. Marque de domaine :enseignement. Ancien nom de la classe de terminale littéraire. Être en philosophie. Faire sa philosophie.
▪ Spécialement. Réflexion, examen critique prenant pour objet une science, un art, un domaine de connaissance particulier afin d'en examiner les méthodes et les principes fondamentaux. Philosophie des sciences (on dit aussi Épistémologie). Philosophie de l'art, du droit. Philosophie de l'histoire, qui, à partir de l'étude des faits historiques, cherche à définir les lois générales permettant d'apprécier le sens et la finalité de leur enchaînement. Philosophie de l'éducation. Par analogie. Philosophie du progrès, de l'action. La « Philosophie de la misère », essai publié par Proudhon en 1846, auquel fit écho, l'année suivante, la Misère de la philosophie, de Karl Marx. Titres célèbres : Principes de la philosophie du droit, de Friedrich Hegel (1818) ; Les Principes de la philosophie de l'avenir, de Ludwig Feuerbach (1843) ; La Philosophie comme science rigoureuse, d'Edmund Husserl (1911).
3. Doctrine philosophique, système d'idées propre à un auteur, à une école de pensée. La philosophie de Platon, d'Aristote. La philosophie scolastique. La philosophie de Descartes, de Bergson. La philosophie kantienne, hégélienne. La philosophie marxiste.
▪ Par extension. Ensemble des systèmes philosophiques propres à une époque, un pays. La philosophie antique, médiévale, classique, moderne, contemporaine. La philosophie allemande. Les philosophies orientales. La philosophie chinoise.
▪ Marque de domaine :histoire. La philosophie des Lumières, le mouvement européen qui, au xviiie siècle, réunit nombre d'écrivains et de penseurs prônant la critique des dogmes et des principes établis, le libre exercice de la raison affranchie de tout préjugé religieux, social ou moral, afin de favoriser le progrès et le bonheur des peuples. Locke, Montesquieu, Voltaire, Diderot, d'Alembert, Rousseau et Kant sont les plus célèbres représentants de la philosophie des Lumières.
4. Par affaiblissement. Ligne de conduite, manière d'appréhender l'existence. Ne jamais renoncer, voilà sa philosophie.
▪ Fermeté d'âme. Accepter son sort avec philosophie. Elle a appris la nouvelle avec beaucoup de philosophie. Prendre les choses comme elles viennent, avec philosophie.
L'UNESCO appuie la philosophie pour enfants.
Au-delà de toute participation d'ordre médiatique à une nouvelle vogue, l'intérêt de la philosophie pour les enfants rentre dans les préoccupations fondamentales de l'UNESCO.
En vue de la promotion d'une Culture de la Paix, de la lutte contre la violence, d'une éducation visant l'éradication de la pauvreté et le développement durable, le fait que les enfants acquièrent très jeunes l'esprit critique, l'autonomie à la réflexion et le jugement par eux-mêmes, les assure contre la manipulation de tous ordres et les prépare à prendre en main leur propre destin.
Ce sont les enfants qui sont les plus exposés aux médias, à la publicité. C'est parmi eux que se recrute un très grand nombre de gens de guerre dont on se sert surtout comme de la chair à canon. Ils constituent de nos jours la plus grande partie des victimes de l'esclavage moderne. Ils fournissent dans plusieurs régions du globe une main d'œuvre très bon marché et font l'objet de pratiques commerciales abominables et intolérables. Incontestablement, l'enfant d'aujourd'hui est l'adulte de demain.
C'est donc à juste titre qu'il faut dire avec Matthew Lipman que l'impact de la philosophie « sur les enfants pourrait ne pas être immédiatement apprécié. Mais l'impact sur les adultes de demain pourrait être tellement considérable qu'il nous amènerait à nous étonner d'avoir refusé la philosophie aux enfants jusqu'à ce jour. »
– Yersu Kim, Directeur, Division de la Philosophie et de l'Éthique, UNESCO, 1999
La philosophie avec les enfants : Matthew Lipman.
Source : "À l'école de la pensée", (Éditions De Boeck), p 9.
Avant propos : Marcel Voisin.
«Créer un instrument universel de libération.
Penser est une aventure. Peut être la plus belle puisque c'est celle qui défini le mieux l'homme. Vivre et se dépasser par cette aventure pourrait donc devenir le sens primordial à donner à son existence. Et pourtant… Il y a peu d'aventuriers. La plupart se réfugient dans le confort des idées reçues et des préjugés qui donnent une illusion de sérénité et de vérité…
Pis, combien de pouvoirs (politiques, religieux, scolaires, administratifs, médiatiques et même parentaux) se sont acharnés à détruire la pensée ou à en empêcher l'éclosion. Beaucoup d'écoles de par le monde, encore aujourd'hui, se limitent à un dressage plus ou moins rigoureux. Elles ignorent l'éducation. Même dans les pays réputés démocratiques...
Matthew Lipman a osé dénoncer ce paradoxe scandaleux et ne cesse de le faire, car le mal est profond, endémique, nourri par la paresse, la facilité et l'irresponsabilité. Il ne s'en tient pas là. Sa critique radicale est constructive puisqu'il propose un programme, une série d'idées, d'analyses et de moyens pour atteindre une éducation véritable, digne de l'homme, digne de l'enfant.
Déjà Isocrate, fameux rival de Platon, concevait la "philosophia" comme l'éducation morale et citoyenne à partir d'une formation intellectuelle complète. Pour lui, bien parler est lié au bien penser (euphronein). C'est déjà l'art du jugement raisonnable : " Nous faisons de la sagesse des paroles le signe le plus sûr de la sagesse des pensées. " Il y faut un entrainement sérieux, une culture appropriée (paideia). Lipman ne dit pas autre chose en somme. Isocrate fonda une école soucieuse de forger un instrument de raison et de civilisation. Elle connut un immense succès. On aimerait en souhaiter autant à la philosophie pour enfants.
De son côté, Épicète, esclave devenu le maître du stoïcisme, a aussi attiré l'attention sur la nécessité d'un jugement juste, c'est à dire modeste et raisonnable, épris de justice et de vérité. Il jette le doute sur un jugement non préparé, non attentif aux circonstances et aux raisons cachées.
Je ne répéterai pas ici la présentation générale que je faisais en 1995. Mais je trouve que son intitulé : " Dynamiser la pensée pour libérer l'homme " conserve toute son actualité, peut-être plus que jamais. Il s'agit bien de l'intention fondatrice de Matthew Lipman qui veut forger dès le plus jeune âge l'outil essentiel de la réussite scolaire, professionnelle, sociale et citoyenne : une pensée lucide, exercée, ouverte, sensible et créatrice, capable de jugement optimal en toutes circonstances.
Fonder le jugement responsable et citoyen dans un climat démocratique représente pour lui la base d'une éducation véritable. Il n'est pas exagéré de dire que notre philosophe-pédagogue crée une poétique du jugement soigneusement élaborée. Ce jugement, indispensable à la vie consciente en société comme à l'autonomie morale tend vers le raisonnable, car il englobe tout l'humain et ne peut valablement s'appuyer sur la seule logique rationnelle.
Analysant précisément cette " raisonnabilité " indispensable, offrant la méthode et les exercices utiles à son acquisition et à la diversité de son emploi, Matthew Lipman rend un service unique à l'entreprise éducative. C'est ici que l'empirisme anglo-saxon révèle sa richesse et son utilité par la précision et la concrétisation de ses intentions humanistes.
" Être raisonnable signifie être capable d'utiliser les procédures rationnelles de manière judicieuse . Toutefois, être raisonnable ne veut pas dire simplement de quelle manière agir, mais sur quoi se fonde l'action : cela suppose donc être capable d'entendre les raisons et de les accepter " (cf. Rôle de la communauté de recherche). Voilà le délicat et salutaire programme d'une éducation véritable à la démocratie. Elle suppose une sensibilité à l'autre qui dépasse l'empathie qu'on appelle ici " vigilance ", une sensibilité au contexte qui mobilise la meilleure attention à toutes les circonstances et une créativité qui puisse dépasser la simple adaptation.
N'est ce pas le nœud de toute éducation morale au sein de notre modernité ? Pour gagner son autonomie. la conduite doit être ouverte, lucide, mais aussi autocorrective dans une dialectique subtile avec la contexte, et même créative. Penser devient ainsi l'exact opposé de croire. " L'imagination morale (…) rend possible le sérieux moral " (cf. "pensée empathique"). Les deux œuvrent à l'élaboration des valeurs.
C'est au sein de la classe, lieu de socialisation transforme en " communauté de recherche " dont Lipman démontre les multiples avantages et la nécessité, que s'épanouira le mieux cet outil pour la vie que constitue une pensée aussi affinée combinant toutes les activités et habiletés mentales orchestrées en formation philosophique. Car " la philosophie apparaît quand ces habiletés sont utilisées correctement au service d'une recherche réflexive. "
La démarche de Lipman est plus holistique que jamais. C'est tout l'être humain, toute la vie intellectuelle et culturelle qu'il envisage. Il insiste sur l'apport des sensations et des émotions dans la construction - le mot n'est pas trop fort - du raisonnable et sur leur importance pour l'éducation. Il est aussi très attentif à la précision du vocabulaire. Les mots ont leur aura ou leur flou, leurs emplois usuels, leur charge d'a priori qui risquent de nous égarer et qui souvent vainement nous opposent. On déplore l'incompréhension, les difficultés de communication et même la violence - y compris hélas, à l'école - mais on ne mesure pas l'importance de la précision lexicale ou consensuelle pour que la discussion, la conversation ou même la polémique se transforment en dialogue véritable et constructif à forger dans la communauté de recherche que devrait devenir toute la classe.
Multipliant les conseils et les exemples, le philosophe aide les enseignants de façon très concrète et très nuancée à concevoir leur tâche d'artisans de la pensée. Elle apparaît comme indispensable à notre modernité si complexe et si changeante. Comment la comprendre, comment la gérer, comment la dominer et y trouver sa place avec une pensée élémentaire ou figée ? Pratiquer le programme de philosophie pour enfants suppose une bonne volonté et une formation sérieuse. L'ouvrage nous en détaille toutes les clés afin de nous préparer à une pratique qui devrait être initiée avec une personne habilitée et compétente.
Un
grand mérite de Lipman est de vouloir créer une dynamique d'adaptation qui soit
critique et humanisante, toute en précision et en nuance, car rien ne lui est
plus étranger que l'absolutisme ou le dogmatisme. Ce n'est donc pas un "
gourou " que je vous propose de fréquenter mais l'un des philosophes dont
l'œuvre humaniste et pédagogique, pétrie d'idéal démocratique, apparaîtra avec
le recul comme essentiel à la sauvegarde de la dignité de l'homme happé par la
technoscience et l'économisme. La promotion d'une éducation vraiment
libératrice, digne des merveilleuses potentialités de l'enfant, de sa curiosité
naturelle et de sa volonté de grandir représente aujourd'hui une œuvre vitale. Quel
démocrate de bonne volonté pourrait le nier ? »
Comparaison du modèle réflexif avec le modèle scolaire classique. (Matthew Lipman)
Source : "À l'école de la pensée", Matthew Lipman (Éditions De Boeck), p 31.
« Je vais à présent montrer qu'il existe deux modèles éducatifs opposés.
Le modèle standard d'une méthode classique et le modèle réflexif d'une méthode critique. Voici les caractères principaux du modèle classique :
- L'éducation, c'est la transmission d'un savoir par ceux qui savent à ceux qui ne savent pas.
- La connaissance porte sur le monde et cette connaissance du monde n'est ni ambiguë, ni équivoque, ni chargée d'inconnues.
- La connaissance s'acquiert dans des cours bien cloisonnés dont l'ensemble offre la possibilité de connaître tout ce qu'on doit connaître du monde.
- Le maître est investi d'autorité puisque l'élève n'aura accès aux connaissances que dans la mesure où le maître lui-même les détient.
- Les élèves acquièrent des connaissances en ingurgitant de l'information, c'est à dire par du bourrage de crâne : une tête éduquée est une tête bien pleine.
À l'opposé, les caractéristiques du modèle réflexif sont les suivantes :